Bibliothèque de gauche, sociologie.
J’ouvre page 101 :
Entreprendre de penser l’État, c’est s’exposer à reprendre à son compte une pensée d’État, à appliquer, à l’État des catégories de pensée produites et garanties par l’État, donc à méconnaître la vérité la plus fondamentale de l’État. Cette affirmation, qui peut paraître à la fois abstraite et péremptoire, s’imposera plus naturellement si, au terme de la démonstration, on accepte de revenir à ce point de départ, mais armé de la connaissance d’un des pouvoirs majeurs de l’État, celui de produire et d’imposer (notamment par l’école) les catégories de pensée que nous appliquons spontanément à toute chose du monde, et à l’État lui-même.
Mais, pour donner une première traduction plus intuitive de cette analyse, et faire sentir le danger que nous courons toujours d’être pensés par un État que nous croyons penser, je voudrais citer un passage des Maîtres anciens de Thomas Bernhard : « l’école est l’école de l’État, où l’on fait des jeunes gens les créatures de l’État, c’est à dire rien d’autre que des suppôts de l’État.(…) »
(Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique)

Raisons pratiques. Pierre Bourdieu.
Éditions du Seuil. Points/Essais. 1994.
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