Romans traduits en français, bibliothèque de droite, rayons du bas.
J’ouvre page 171 :
Elle était donc revenue. Elle rentrait et n’avait nulle raison de regretter le tournant qu’elle avait donné à sa vie. Au contraire, elle en eut de moins en moins surtout après avoir survécu aux traverses des premières années. C’était chez elle d’autant plus méritoire qu’elle était arrivée à sa nujit de noces encore dans les brumes de l’innocence. Elle avait commencé à la perdre durant le voyage dans la province de sa cousine Hildebranda. À Valledupar, elle avait enfin compris pourquoi les coq courent après les poules, avait assisté à la cérémonie brutale des ânes, vu naître des veaux, et entendu ses cousines parler avec naturel des couples de la famille qui continuaient à faire l’amour, quand et pourquoi d’autres avaient cessé de le faire bien qu’ils continuassent à vivre ensemble. C’est alors qu’elle s’était initiée aux plaisirs solitaires, avec la sensation étrange de découvrir quelque chose que son instinct connaissait depuis toujours, dans son lit d’abord, la mâchoire bâillonnée pour ne pas éveiller la demi-douzaine de cousines qui partageaine sa chambre, puis à deux mains, nonchalante et renversée sur le carrelage de la salle de bains, les cheveux dénoués et fumant ses premiers cigares de muletier.

L’Amour aux temps du choléra. Gabriel Garcia Marquez. Traduit de l’espagnol (Colombie) par Annie Morvan.
Éditions Grasset, 1987.
Empruntez-le à la Médiathèque Pablo Néruda, c’est un bon choix.